
|
José Carlos Arevalo
directeur de la revue 6 toros 6
avec l'aimable participation de
Robert Margé |
JOSÉ CARLOS AREVALO
11 octobre 2007)
"J’ai connu Michel Leiris dans les années 50. J’habitais Montparnasse et avais fait connaissance d’un éditeur qui avait réalisée une édition de Miroirs de la Tauromachie. Le livre m’a bouleversé. J’ai tous les livres de Michel Leiris dédicacés, sauf un que m’a volé un ami. J’ai beaucoup parlé de tauromachie avec Michel Leiris, il était déconcertant car il parlait de la tauromachie des années 20. Nous avons aussi parlé de la Serrana de la Vera qui le fascinait, une femme qui aimait les hommes puis les tuait.
Je crois que nous avons vecu une saison qui a changé la tauromachie, comme la saison 1912 avec l’apparition de Belmonte / Joselito. La saison 2007 met le toreo au 21ème siècle.
Quatre points
1) Nous avons une génération de toréros jeunes en état de maturité technique et esthétique : Manzanares, Perera, Castella et Talavante. Ils ont une façon d’exprimer le toréo formellement définie. Ce sont les fils de la tauromachie de José Tomás et El Julí. Ponce et Joselito sont des toréros du 20ème siècle, des toréros des années 90.
José Tomás et El Julí sont différents d’un point de vue esthétique, mais pas d’un point de vue technique. Ils ont recueilli tout le toréo du 20ème siècle, depuis Joselito jusqu’à aujourd’hui. Ils ont été formés au Mexique et ont incorporé la tauromachie mexicaine, ce qui est important du point de vue de la cape. Ainsi José Tomás a fait des caleserinas à Barcelone.
El Julí a commencé par exprimer toute la variété du toréo : c’est un toréro d’anthologie.
José Tomás est un toréro syncrétique qui a agglutiné toutes les expressions techniques pour leur donner une nouvelle forme. Il présente le leurre, laisse la charge s’écraser dedans et conduit le taureau, c’est plus imparfait mais avec une vérité.
A un moment, El Julí a compris qu’il devait limiter sa variété, en reduisant le nombre des suertes qu’il pratiquait. Il a pris la solution technique de José Tomás : emplacement, présentation des leurres en fonction du regard du taureau, utilisation fragmentaire des leurres. Ils arivent à obtenir des taureaux des prestations inouïes, miraculeuses.
Ces toréros ont formé la facon de toréer des toréros plus jeunes : Castella par acceptation, Talavante par mimetisme et Perera d’une manière hybride.
Ils utilisent une partie de la muleta pour le cite, mais toréent ensuite avec toute la muleta. Il ont pris conscience que l’on torée le regard du taureau, ce que les anciens appelaient “toréer dedans le taureau”. A partir de positions impossibles, de grand danger, le taureau est reçu avec une precision technique nouvelle (Même Ojeda, qui a commencé cette histoire, utilisait tout le leurre) et ils ont développé cette technique d’une façon extrême.
Perera a un besoin d’indépendance maladif. Il a renvoyé son apodérado -le gestionnaire de Madrid !- et en a été puni. Il a fallu la chute de Cayetano pour qu’il provoque de l’intérêt. Cayetano est l’héritier d’une marque ancienne qui a un siècle et il allie une grande expression artistique à une extrême pauvreté technique.
Castella a eu toute la saison des problèmes psychologiques qui l’ont empêché de tuer, ce qui a nui à la clarté de sa saison.
Manzanares est aussi sur la touche à cause de la maladie de la dengue. C’est un toréro hors du temps, qui rappelle Antonio Ordóñez (Tolède).
Talavante est un toréo d’expulsion. Si le taureau est extraordinaire, alors il est bon, comme ceux que l’on appelait autrefois les stylistes. Et il triomphe dans les occasions importantes.
2) En 2006 pour la première fois un toréro français s’est trouvé en première position, après la féria de Bilbao. En 2007, il a triomphé à Séville et à Madrid, coupant deux oreilles au taureau de Perera qui avait été blessé.
Juan Bautista a aussi triomphé, le 6 octobre, en coupant deux oreilles au même taureau, une des meilleures faenas de l’année à Madrid (avec celle d’ El Julí au Victoriano del Río). Il a une façon de torer, une façon de conduire le taureau à la cape, une fixation des poignets qui lui sont propres.
C’est la première fois que des toréros étrangers s’imposent dans ce qui est un domaine limité à un certain territoire.
3) Il y a un lideur El Julí (Arles, taureau de El Pilar où il a profité de la fuite de l’animal pour marcher avec lui et le toréer ; Barcelone, taureau de Ventorillo, qui avait du tempérament et a été peu piqué). El Julí est capable de recevoir un taureau qui court à 100 km/h au moment de l’embroque et, en le conduisant dans le leurre, de le faire descendre à 20 km/h. C’est une question de toque (le même que Ucedad Leal à l’estocade). La charge entre dans un champs gravitationnel différent : il y a de la magie ; on ressent de la délectation ; on peut déguster du toréo, leurre en bas -la moitié sur le sable-, obligeant la charge du taureau. C’est une chorégraphie de la domination. Il torée de façon profonde une énorme quantité de taureaux, des taureaux qui ne “servent” pas.
José Tomás a mené une saison périphérique, de mise en route. Il délivre une message : la corrida est un événement, ce n’est pas de l’art standardisé. Elle ne se produit qu’une fois. Il se joue la vie, mais seulement quelques après-midi, pas tous les jours et le public a compris. José Tomás, fidèle à sa position, a répondu à ses détracteurs dans l’arène.
Il a montré une évolution. Son toréo ne contredit pas le taureau, mais à la moitié de la passe, il le conduit où il veut. La ligne droit qui ne veut pas être contrariée entre dans une ligne courbe. A Nîmes, il a d’abord laisser passer le taureau pour le convaincre de charger, puis l’a conduit dans le terrain intérieur avec un engagement extraordinaire qui a donné un ton de magie. José Tomás a montré la clé de la tauromachie du 21ème siècle. Cette saison est un temps nouveau.
4) Le taureau a aussi changé. Il a du volume, de plus grandes défenses. Comme autrefois la sélection n’avait été faite qu’en pensant uniquement au comportement du taureau, il avait diminué de volume, parce que le petit taureau produit de meilleurs résultats. La mode du taureau grand a changé des choses. Il fallait trouver un taureau de 550 kg avec la mobilité d’un taureau de 450 kg, un taureau avec une condition de poumon pour résister à la lidia. C’est un travail long qu’ont réussi particulièrement les éleveurs de Fuente Ymbro, Jandilla et Núñez del Cuvillo.
Aujourd’hui, nous avons des toréros jeunes qui n’ont pas peur de ces taureaux qui ont beaucoup de force dans le cou (c’est pourquoi il y a beaucoup de fractures).
Il y a aussi un bon chemin pris pour les chevaux. Ils sont plus fins, plus professionnels, bien dressés et montrant une toreria extraordinaire, tant en Espagne (Séville qui a des chevaux fin d’extrémité, mais très puissants) qu’en France (Bonijol dont les chevaux sont un peu grands) et Heyral ( plus fins et plus agiles).
Il faut encore corriger la pique, qui fait trop saigner, ce qui est désagréable à voir. Les taureaux sont peu piqués et cela donne la possibilité de les dominer à la muleta.
Cette saison a été inaugurale : taureaux en condition physique et compétition chez les toréros. J’attends 2008 avec beaucoup d’espoir et de passion. Vous savez qu’un bon aficionado est un aficionado pessimiste, mais je ne suis pas un bon aficionado ...
Robert MARGÉ, qui nous avait fait l’amitié de venir à cette réunion, a souligné l’aspect magique de la faena de José Tomás à Nîmes comme aficionado et comme éleveur de taureau. Il nous a appris que Sebastien Castella avait appuyé de tout son poids pour que Juan Bautista soit au cartel de la Presse à Madrid.
Quelques questions de l’assistance sur quelques toréros :
El Cid : c’est un grand toréro qui comprend parfaitement les Victorino Martín. Il est très bien à la cape, comme à la muleta, mais il ne se passe rien.
Javier Conde : danseur folklorique insupportable, caricature de toréo d’art.
Curro Diaz : des détails merveilleux, mais quand le taureau charge, les brefs moments d’inspiration sont insupportables. Il faut toréer.
Ponce se place avec intelligence dans un endroit peu dangereux où il peut provoquer la charge dans le leurre, puis il l’accompagne, perd un pas avant la fin, se situe dans le cou et accompagne le taureau en toréant en rond, mais complètement en sécurité.
Fernando Cruz est un toréro de qualité avec une conception profonde du toréo, mais qui se retrouve dans les corridas dures, dans un genre de corrida qui contredit son toréo. Sa façon de toréer n’avait pas la maturité technique pour montrer son concept, mais comme on connaît son concept, on le met dans les férias, mais ce sont de mauvaises occasions. Son avenir est problématique, il lui faudrait un grand triomphe de deux oreilles dans une plaza importante.
Joselito Adame est très bien. A ses débuts, il était trop jeune, puis il st devenu malin “ratonero”, mais à partir de l’an dernier son toréo a pris une autre portée, extraverti et varié. Il a été formé dans les villages taurins de France, à la dure.
En 2008, les deux toréros qui ont la plus grande marge de progression en 2008 sont Castella et Perera.
Et Morante ?
C’est un des plus importants torero d’arte de Séville. À côté de lui, Rafael de Paula est une anecdote.
Morante réunit toute la capacité technique de Gallito, le concept de Belmonte et il a assimilé la nouvelle technique de José Tomás. C’est un toréro largo, au répertoire riche et ample. C’est un toréro génial.
A Málaga, il y a quelques années, une corrida avec des taureaux de Rosario Osborne très armés, Ponce, José Tomas et Morante. Au premier taureau, Ponce coupe une oreille, au deuxième José Tomas casse la place en deux, Ponce dit dans le callejon “Qu’est-ce qui se passe, je n’y comprends rien”. Au troisième taureau, Morante a cassé toute la place. Il s’en fout de José Tomas !
Il a une variété extraordinaire, 30 ou 40 façons de faire des véronique ou des demies. Quand il banderille, il rappelle Antonio Fuentes dans sa façon d’aller au taureau, au pas. Il plante les mains au niveau du front, les genoux et les chevilles joints et saute en s’appuyant sur les banderilles pour sortir. Il prend les banderilles et dit : “Ça doit se faire comme ça. Je vous le montre, mais je ne le fais qu’une fois par an”.
Parfois avec un taureau dangereux, il voit quelque chose et torée comme s’il n’y avait pas de taureau.
(D’après les notes de Philippe Paschel)
|
|