Juan Bautista (Paris, Loubnane 7 novembre 2006)
Cette réunion a eu lieu à l’occasion de la sortie d’un livre de Blaise Volckaert, Juan Bautista, la conscience des sentiments (Atlantica, 2006), dont l’auteur nous a expliqué le titre : Juan Bautista étant au top de sa technique, il pouvait laisser parler ses sentiments.
Jean Baptiste Jalabert “Juan Bautista” (Arles 12 juillet 1981 ; alternative en Arles le 11 septembre 1999 des mains d’Espartaco, taureau de Zalduendo, avec César Rincón comme témoin) est un garçon réservé qui se prêta volontiers aux questions de l’assistance :
“Je suis revenu par aficion, je ne pouvais pas faire autre chose. Il me manquait tous les sentiments que tu éprouves en toréant, quand tu es au centre de l’arène : l’adrénaline, la présence du public, le besoin de faire les choses bien. Lorsque j’ai organisé le festival de février 2004, les premiers toréros que j’ai appelé m’ont dit que je devais participer. Manzanares a insisté. On ne peut pas dire non à Manzanares. Il était aussi retiré et nous nous sommes entraînés ensemble chez lui.
En septembre 2005 à Nîmes, le taureau d’El Pilar m’a marqué par le moment où il est arrivé. J’avais besoin de me relancer. C’était une corrida dont les figures n’avaient pas voulu et trois taureaux ont été exceptionnels. Tanguito de Hierbabuena, gracié à Nîmes en février 1999, avait aussi changé beaucoup de choses, avant j’étais un inconnu. Cette année [2006], c’est la corrida de Vitoria qui m’a le plus servi. Pour un toréro français, trois oreilles a Nîmes ne rapportent rien, alors que cela rapporte à un espagnol. A Vitoria, j’ai pu faire un toréo créatif, inventif et il y avait beaucoup de presse espagnole : Manolo Molés, Barquerito. Ensuite les triomphe de Dax [15 août, taureaux de Bañuelos, dans l’orage] -qui a été mon retour dans le Sud-Ouest- et l’indulto de Fréjus ont eu plus de répercussion. Ce taureau de Victoriano del Río, Condor, n’a pris qu’une pique, mais il était brave. A la muleta, il répétait et a duré et transmettait beaucoup. Il ne se fatiguait pas. Je lui ai fait trois faenas en une.
Depuis mon retour, je fais la tauromachie que j’ai toujours voulu faire, mais que je n’arrivais pas à faire. Je suis plus calme, je réfléchis devant le taureau, la profondeur vient naturellement et les dix jours passés avec Manzanares ont été importants. Mon père me disait toujours : “Ce que tu fais aux vaches, fais-le aux taureaux”. Maintenant je réussis. J’essaie d’être varié, je fais les quites, j’ai introduit des passes nouvelles. Si tu as le sitio sur la véronique, tu te régales à en faire. Ce qui compte ce sont les sentiments que je vais mettre dans ma faena. La passe doit être donnée le plus arrondi, le plus doucement possible, elle doit être allongée le plus loin possible. Mais il y a des taureaux qui ne permettent pas et il faut rapidement s’adapter à l’animal.
Quand un taureau sort, j’observe sa façon de charger au burladero, s’il remate la tête en haut ou en bas, s’il galope ou trotte ; à la cape, ou est la tête quand il charge. Ensuite ce sont les yeux que j’observe, dans quelle direction ils vont. On torée les yeux. Sur le regard du taureau, tu dois deviner ses réactions. Si le taureau te regarde à toi et pas la muleta, il faut s’assurer qu’’il réagit à la voix et au toque.
La mise à mort est très technique. On répète beaucoup au chariot, cent coups d’épée par jour. L’échec peut être dû à un problème technique : on est part trop tôt ou trop tard, on a mal visé. On sent que l’on va donner un recibir a la dernière série, le taureau doit venir fort. C’est une suerte pour laquelle il n’y a pas d’entraînement, le chariot n’offre pas cette possibilité. On peut le simuler en mettant la main sur une vache ou tuer un taureau en privé.
Il y a eu tous les moments d’angoisses, de préparation, la corrida ce n’est que deux fois vingt minutes, mais il faut beaucoup d’heures de travail, de mentalisation. Le moment où tu montes dans la chambre après le repas de midi, tu sais que la prochaine fois que tu prendras l’ascenseur, c’est pour aller aux arènes et il ne faut pas se faire la corrida dans la tête. Alors, il y a du plaisir quand tu arrives à te rencontrer avec un taureau comme tu le veux, que tu peux réaliser le toréo et que tu transmets des sentiments au public.
Devant le taureau, tu oublies toute notion de danger, parce que tu es tellement concentré sur la technique que tu dois adapter à l’animal et qu’il faut transmettre au public.
Il faut une bonne entente dans la cuadrilla. En hiver, je fais venir ma cuadrilla aux tientas et c’est là que je règle les choses qui n’ont pas fonctionné. Par exemple j’aime voir les charges des deux côtés, alors que certains banderilleros cherchent à te montrer seulement le bon côté du taureau.
L’ambiance des arènes est importante. Je me suis senti bien à la corrida goyesque de l’année passée [Arles, septembre 2005]. Le décor influence le toréo et le public. Le public est comme les arènes : La Ventas sont tellement imposantes et le public aussi est sévère.
En Colombie, les taureaux qui sont élevés à 2000 m d’altitude, ont beaucoup de souffle, parce qu’ils sont combattus dans des villes plus basses. Au Pérou, la qualité de l’élevage est plus faible, les corridas viennent souvent de Colombie. Au Venezuela, il y a de bons élevages, comme celui d’Hugo Molina. Le Mexique est le pays le plus important du monde par son nombre de corridas. Il a aussi de très bons toréros, comme Cavazos, chez qui je vais m’entraîner et parmi les jeunes, José Luis Angelino et Alejandro Amaya.
Pour 2007, j’espère continuer à évoluer, découvrir de nouvelles arènes, rentrer à nouveau en Espagne, faire partie des 10/15 premiers de l’escalafon”.
Philippe Paschel