Luis Francisco Espla ¡torero !
Luis-Francisco, tu es torero de la tête aux pieds.
Tu es l’incarnation de ce qu’est « être torero ».
D’abord parce que tu es torero de tous les toros, de tous les encastes, de Victorino à Victoriano, les Domecq, Santa Coloma, Nuñez, Atanasio, Albaserrada…
Ensuite, parce que tu es torero de toutes les plazas ; tu es torero des plus grandes plazas comme Madrid, bien sûr où tu as marqué certains de tes plus beaux triomphes (il suffit d’évoquer la corrida dite du siècle face aux victorinos du 1er juin 1982, ou tes extraordinaires adieux cette année) mais tu es aussi torero des petites plazas rigoristes, où tu t’es engagé en fin de carrière avec la même détermination qu’un novillero pour une corrida de responsabilité : ainsi à Céret, où tu as accompli certains de tes plus grands exploits.
Ensuite parce que tu es torero de tous les tiers. Être torero, ce n’est pas seulement être muletero, c’est être aussi capeador, banderillero, matador. C’est pour cela même que (je m’en souviens), lorsque tu t’es présenté en France comme novillero, lors d’une soirée enchantée de pentecôte 1975, aux côtés du regretté Christian Nimeño, le directeur de l’exigeante et sévère revue Toros Paquito avait vu en toi la réincarnation de Joselito El Gallo, le prince des toreros.
Et tu es torero de la tête aux pieds parce que tu es torero de tous les publics. Au public populaire, tu as montré un art des banderilles unique, inventif, alerte, spirituel, qui incarne ce qu’on peut appeler « l’esprit banderilles », et au public savant tu as montré un art de la citation des suertes anciennes, des gestes oubliés, des toreros d’autrefois.
Et tu es torero parce que tu n’es pas seulement torero. Pour ceux qui distinguent le toreo et la lidia, comme le faisait Claude Popelin, tu es d’autant plus torero que tu es aussi lidiador, ce qui t’a valu deux fois le prix Claude Popelin.
Et tu n’es pas torero seulement pendant tes toros, tu es aussi torero pendant les combats des compagnons, car tu es un chef de lidia recherché et respecté.
Et tu n’es pas seulement torero dans l’arène, tu es torero dans la vie, torero quand tu écris, quand tu peins des affiches taurines, quand tu philosophes sur l’éthique du toreo, quand tu t’engages dans des entrevues radio ou télévisées.
Luis-Francisco, tu es et tu seras toujours torero.
C’est pourquoi nous sommes heureux de pouvoir te dire ce soir : « Merci torero ! »
Francis Wolff
LES TERRAINS, LE RITE ET L’ARTISTE
Luis Francisco Esplá a acquis la connaissance des terrains dés l’enfance dans les arènes que possédait son père, avec les taurillons de l’École taurine qu’il y dirigeait. Cette question est essentielle dans la tauromachie.
Le taureau a une conscience aiguë des terrains : c’est son espace vital, son être même, dans lequel le toréro pénètre et dont il veut l’expulser. Cette volonté est le matériau que le toréro va utiliser.
Autrefois le taureau défendait mieux son terrain, il avait plus de vitalité et il était difficile de s’en approcher à moins de 4-6 mètres. Que Domingo Ortega réussisse à prendre une corne dans la main était un exploit immense!
La sélection lui a enlevé de l’animalité, ce qui lui donnait à chaque animal un caractère propre, et qui les amenait à réagir différemment au combat : les taureaux sautaient dans le callejon, ils se réservaient à la pique, mais étaient braves au troisième tiers.
Le taureau d’aujourd’hui a perdu de la vitalité dans le respect des terrains, on peut s’en approcher à moins d’un mêtre, ce qui permet des faenas esthétiques.
En choisissant de faire un animal de grand volume, on lui a enlevé la mobilité, la distance d’agressivité. Il y a une loi du levier (palanca) qui établit un équilibre dans les qualités que l’on cherche et si on déplace un élément pour favoriser une qualité, on en perd une autre. L’accroissement du volume a favorisé certaines races bovine, celles qui supportaient mieux les pertes de mobilité que cela entraînait. Le grand perdant a été Santa Coloma qui en grandissant a perdu sa structure première- le rapport entre les membres inférieurs et le corps (1/3- 2/3)- pour atteindre 1/2, ce qui a fait diminuere ses capacité ambulatoires.
Esplá aime beaucoup les banderilles parce qu’elles permettent de rendre intelligibles et claires les évolutions de l’animal. C’est Joselito “Gallito” qui est le premier à avoir mis en valeur ce tiers, qui lui permettait de vérifier la mansedumbre de son adversaire. Pour Luis Francisco, il y a une grande sensualité à déplacer le taureau dans une longue élipse pour le laisser là où il veut.
Enfant, il était fasciné par le “cliché” du torero, tel qu’il le voyait dans des revues taurines du début du XXème siècle. La tauromachie lui apparaissait comme un rite magnifique. C’est l’amour du rite qui donne du sens à la vie. Le rite amplifie le geste et lui donne de la valeur.La corrida a été une manière de vivre.
Un taureau ne doit avoir aucun contact avec l’homme. Il doit vivre sans que l’homme mette la main sur lui. Les gaines de cornes lui semblent un attentat au symbole que représente le taureau. C’est le “totem” manipulé.
Il se rappelle avec émotion l’humilité des toréros anciens, qui, après avoir triomphé en coupant 4 oreilles, redevenaient comme de modestes becerristes. Beaucoup de toréros d’aujourd’hui ont au contraire de la jactance pour pas grand chose. Il admire bien sûr les collègues qui ont des qualités qu’il n’a pas : l’art de Morante ou le courage de José Tomas.
Il a connu quelques expériences de toreo parfait, il était en état de grâce, se voyait toréer, la faena paraissait se dérouler automatiquement, alors que d’ordinaire il pense trois passes en avance. Il n’a pas connu cette sensation avec “Beato”, toréé cette année [2009] à Madrid, taureau qui n’a pas pu être combattu dans le terrain le plus propice à cause du vent, sinon il aurait été gracié.
Quant aux mauvais taureaux, ils sont de deux sortes : ceux que tout le monde voit mauvais et qu’il faut liquider. Il y a une autre sorte : un taureau qui te détruirait s’il t’attrapait, mais il ne t’attrappera pas, parce que tu fais tout pour que cela ne se produise pas. Mais tu n’as pas été au bout du possible et le fait de ne pas savoir peut te faire perdre le sitio. Cela lui est arrivé avec un Santa Coloma à Algeciras (sans indication de date).
Les corridas dures sont en réalité des mauvaises corridas et le mauvais taureau abime la technique. Il use considérablement. Peu de toréros y résistent plus de 4-5 ans. Il est un des rares, avec Ruiz Miguel et El Fundi à ne pas perdre sa technique en les affrontant, c’est Joselito (José Miguel Arroyo) qui le dit.
Philippe Paschel
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photos Richard Zapata
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