Après un début d'année chargé et une trop longue interruption (deux mois), le Club a inauguré un nouveau local qui s’est avéré trop petit pour le grand nombre d’assistants.
Après un résumé par Francis Wolff des courses de Valence qu’il avait vues, relevant particulièrement celles de “Las Ramblas” et de “Fuente Ymbro”, dont un taureau a été gracié par Miguel Ángel Perera, Jean-Pierre HÉDOIN a débuté son exposé illustré de vidéos (DVD en réalité).
Dans son récent ouvrage Figuras del siglo XX (Ed El Cruce, 50 euros, trad. française Figuras du XXè siècle, Culturessud, 35 euros), Paco Aguado titre le texte qu’il consacre à El Julí : “le Gallito du 21ème siècle”. Ils ont en effet les mêmes caractéristiques : précocité, toreo largo, régularité et connaissance de ce que l’on nomme en français “la lidia”.
Dans son livre “Cuando suena el clarín” (1961), Gregorio Corrochano écrit : “Trois catégories de toreros foulent le sol des places de taureaux : des toreros qui ne sont pas des toreros, bien qu’ils se vêtent de soie ; des toreros qui sont des toreros, mais qui n’ont pas la caste de toreros ; et les toreros qui ont la caste de toreros (...). Le torero de caste se définit par sa manière d’être dans l’arène, par son attention constante envers le taureau, par son calme, par ses réactions, par sa supériorité. Il se met en colère lorsque le taureau ne répond pas à ce qu’il lui demande. Il fait ce qu’il veut faire, bien que le taureau lui résiste. Chaque après-midi, il veut faire mieux, se dépasser avec un désir illimité de la perfection.”[Madrid, Espasa-Calpé, La Tauromaquia n° 19, p. 368].
Le torero auquel il pense est Luis Miguel Dominguín. Mais là aussi, quand on regarde El Julí en piste, on est frappé par sa concentration et par la hargne qui transparaît sur son visage et qui traduit un trait de caractère, sa caste.
El Julí a déjà eu plusieurs apoderados : Victoriano Valencia, les Lozanos, El Tato et maintenant Roberto Dominguez. Malgré son jeune âge (23 ans), il a déjà accompli sept saisons complètes où l’on peut distinguer trois étapes : les débuts triomphants, les années difficiles, une jeune maturité.
En 1998, après avoir toréé comme novillero au Mexique, il a triomphé en Espagne, sortant quarante fois en triomphe et remplissant même des arènes où il était difficile d’attirer le public et a achevé cette étape de sa carrière en se présentant seul devant six novillos qu’il a tués de six estocades à Madrid le 13 septembre (film), en sortant en triomphe pour la première et seule fois à ce jour. Le 18 septembre, à Nîmes, il reçoit l’alternative des mains de José Marí Manzanares et devient matador d’alternative (film).
En 1999, il est en tête des statistiques, est blessé trois fois sérieusement, à Castellón, à Séville (ce qui l’empêche de sortir par la Porte du Prince alors qu’il avait coupé les trois oreilles nécessaires) et à Calahorra. Les trois fois, il portait le même costume rose et or ...
2000 est l’année de la confirmation madrilène, des mains de Ponce avec Rivera Ordóñez face à des taureaux de Samuel Flores. Il pratique un toreo fleuri, auquel on reproche sa rapidité et banderille selon un schéma presque toujours identique : cuarteo sur la corne droite, une paire en allant vers le centre et la troisième vers la barrière. Il tue en armant le coude quand il est sur le taureau.
2001 est une année intermédiaire où il conquiert l’aficion “sérieuse”. Il est blessé à Málaga et va néanmoins combattre les Victorino Martín à Bilbao quelques jours après, et se fait prendre brutalement au visage par un Torrealta, ce qui l’empêche de sortir en triomphe après avoir coupé les deux oreilles, premier torero à les avoir obtenues depuis le nouveau règlement basque qui les rend nécessaires pour une sortie par la Grande porte (Règlement du 3 décembre 1996). Il se distingue encore dans des corridas “aquatiques”, à Séville et Nîmes sous des pluies battantes qui rendent la piste impraticable.
Avec 2002 commencent les années difficiles. La saison commence mal, les autres figures sont blessées et il doit seul en affronter la charge, mais les triomphes reviennent à Pamplune, Bilbao, Madrid-Vista-Alegre, le 4 octobre, pour les adieux de Curro Vázquez (film).
2003 commence avec un scandale à Castellón avec des Victoriano del Río invalides, se poursuit par une pantalonade de Puerto de San Lorenzo [cet élevage n’en était pas à son coup d’essai : lors de la féria d’Automne 1991, il avait fallu onze taureaux pour que la course se déroule et seul le dernier tué en piste appartenait à l’élevage annoncé ; on n’avait rien vu de tel à Madrid depuis l’alternative de Belmonte dans la Plaza Nueva, le 16 octobre 1913 NDLR]. La saison fut terne, avec quelques succès, à Mont-de-Marsan et à Saragosse, où il affronta six taureaux dans un combat difficile d’animaux rétifs.
En 2004, il change d’équipe et prend avec lui Roberto Domínguez. C’est le début d’une nouvelle époque. Il arrête de banderiller, abandonne la variété “mexicaine” et pratique un toreo sérieux, profond. On le voit triompher à Bayonne devant un Pérez Tabernero, à Bilbao devant un Torrestrella ingrat
En 2005, il réussit à imposer son style, même si certains organisateurs préfèrent se passer de lui.
Il a atteint une qualité dans le combat et dans l’expression artistique peu fréquente dans le même homme. On vit la première facette lors de la faena faite à “Idealista” de Jandilla lors de la feria de San-Sebastián en août : un taureau peu intéressé que El Julí, à base de choix de la distance et de la hauteur de la muleta, sut convaincre par sa volonté de lutte. La deuxième facette fut représentée par la faena pleinement artistique réalisée en Arles à la feria de Pâques, un Vendredi saint qui tombait aussi un jour de l’Annonciation.
Jean-Pierre Hédouin termina par une anecdote : lors de la feria de Valence en juillet 2005, corrida de El Pilar, El Julí avait eu en premier un animal petit et sans intérêt qui avait suscité la colère du public. Pendant la collation qui a lieu après le troisième taureau (la merienda), il a boudé les bras appuyés à la barrière. Il triomphe avec son deuxième taureau, mais refuse de sortir par la grande porte, il fallut toute l’insistance du Cid, qui avait aussi obtenu ce droit, pour qu’il cède. La caste !
Le reste de la soirée fut consacré à la charcuterie auvergnate.
Philippe Paschel