Paris,
le 2 décembre 2005
Beaucoup de monde dans le sous-sol du Loubnane ce vendredi où nous célébrions
l’éclatante victoire de Napoléon à Austerlitz à la tête d’une armée exclusivement
française face à la coalition des tyrans européens. C’était un jour de gloire
pour un grand législateur, qui nous a laissé ce monument des cinq codes : le
Code civil des français, justement qualifié de Code Napoléon pour l’intérêt
qu’il a porté à sa confection, suivi des Code de procédure civile, Code de commerce,
Code d’instruction criminel, Code pénal. Un tel jour était donc propice à une
discussion de texte de lois : le projet de nouveau règlement taurin andalou
était sur la sellette, présenté par José Antonio Soriano, directeur général
des spectacles publics, jeux et activités de loisirs du Conseil de l’Assemblée
régionale d’Andalousie.
Avant d’aborder ce sujet qui hante les débats taurins depuis toujours, Jean-Pierre
Hédoin, notre président démocratiquement élu, fit l’éloge de José Carlos Arevalo,
directeur de la revue 6Toros6 (qui est venu déjà deux fois dans notre club)
à l’occasion de la parution française de son livre Mystère Taurin [Editions
Culture Sud, 19 euros].
L’auteur, s’exprimant en français, nous expliqua qu’il avait ce livre en cours depuis l’âge de trente ans, amassant les aphorismes, mais que le texte qu’il écrivait était raté parce qu’il n’arrivait pas à toucher au mystère. C’est l’arrivée de José Tomas qui lui a donné les raisons les plus profondes de la dialectique toréro/ Taureau. Il fit l’éloge des dessins de Robert Ryan qui illustrent le livre, lequel a su recréer la part la plus intime du toréo, les toréros ont eu l’impression d’être surpris dans un secret |
C’est
José Carlos Arevalo qui a lancé la soirée sur le règlement taurin en remarquant
qu’en Espagne, c’était le ministère de l’intérieur qui avait la responsabilité
de la tauromachie au nom de l’ordre public, alors que le toréo est un savoir
ésotérique. La lidia telle que nous l’entendons a été fondée en Andalousie et
ce règlement andalou va provoquer un choc nécessaire et sera suivi par tout
le monde.
La parole est alors à José Antonio Soriano, qui s’est exprimé dans un espagnol
élégant et clair, qu’il fallut néanmoins traduire pour les quelques membres
du Club qui n’ont pas encore atteint un niveau suffisant dans la langue de Gallito,
ce que fit Patrick Guillaume, pendant qu’Araceli Guillaume-Alonso traduisait
le français pour notre hôte.
En Espagne, les autorités font des règlements sans se préoccuper des taurins,
ce qui fait qu’ils ne sont pas appliqués et le monde taurin fait tout ce qu’il
peut pour leur échapper. L’art du toréo doit se dérouler dans une totale liberté,
mais comme il s’agit d’un spectacle public il doit avoir lieu dans l’ordre ou
plus exactement dans le respect du taureau, du toréro et du public.
Jusqu’en 1981, il y avait un règlement unique [datant de 1962]. La première
loi taurine a été promulguée en 1992 et le règlement à sa suite par décret.
Mais ces textes s’éloignaient de la réalité, parce qu’il avait été conçu sans
l’accord des professionels. Comme les règlements taurins sont de la compétence
des autorités régionales, le Pays basque, la Navarre, l’Aragon ont élaboré des
règlements particuliers qui sont peu différents du règlement étatique et la
Catalogne essaie de supprimer la tauromachie.
Au contraire,
pendant l’année 2004 en Andalousie, il y a eu deux débats publiques sur
la tauromachie, sur son rôle économique, culturel et sur ses racine propres
dans la région. Tous les partis politiques sont favorables à la corrida
et à l’appui public qui lui est donné : place dans les émissions de la
télévision publique (Canal Sur), soutien des écoles taurines et établissement
d’un nouveau règlement. Il y a six millions d’euros de subventions pour
300 places. On peut ajouter que les deux tiers des taureaux combattus
dans le monde sont d’origine andalouse. Ainsi en 2005, il ne restait plus qu’à se mettre au travail. D’abords, écouter ceux qui savent : mayorales, toréros retirés et en activité, novilleros, picadors, apoderados, impresarios, éleveurs, propriétaires de chevaux de picadors, aficionado etc.. Puis, écrire un projet plus flexible avec le toréo, plus adapté à la réalité, avec le risque d’être accusé de favoriser la facilité pour les toréros. Le résultat est un règlement consensuel, court et plus favorable au toréro et à l’aficionado.
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Quelles en sont les nouveautés
1) Caractère participatif et de bas en haut au lieu d’être de haut vers le bas.
2) Classification des spectacles plus flexible.
3) Nouvelle classification des places. En première : Séville, Cordoue et Malaga.
4) Établissement d’un registre d’organisateur avec dépôt d’une garantie.
5) Création d’un corps de présidents professionnels, indépendants, compétents,
rigoureux et responsables.
6) Modification de la pique, dont l’arête sera moins longue, le caparaçon sera
dans un matériau moins rigide et le poids du cheval baissera.
7) Pari pour l’intégrité du taureau. Comme en France, le tricheur ne reviendra
pas.
8) Il y aura un poids maximum des novillos, selon les trois catégories des places,
500, 470 et 420.
9) Les vétérinaires visiteront les taureaux dans les élevages pour éviter les
déplacements abusifs.
10) La notion de “trapio” est remplacée par celle de “prototype racial”, en
respectant les traditions de chaque place.
11) Les avis ne seront pas seulement donnés selon la durée de la faena, mais
le décompte se fera dés le premier coup d’épée, si celui ci intervient avant
le premier avis.
12) L’octroi de la deuxième oreille sera toujours un privilège du président,
mais sera considéré comme la prolongation naturelle des désirs du public.
13) Il pourra y avoir grâce de la vie du taureau dans toutes les arènes en dur.
Il ne sera pas nécessaire pour le matador de simuler l’estocade.
14) Il y aura une déclaration des droits et des devoirs de l’aficionado.
15) Lors de l’examen des taureaux, deux aficionados seront présents et pourront
donner un avis purement consultatif.
De nombreuses autres mesures de détails ont été prises.
Personne n’est satisfait à 100% , mais il est accepté par tous.
Il repose au fond sur trois principes :
-Renouveau et jeunesse
-Émotion et plus grande sensation de risque
- Guerre à l’ennui.
Un bref débat suivi qui revint sur les problèmes de la pique. José Carlos Arévalo
fit d’abord remarquer qu’autrefois le picador passait 70% de son temps à se
défendre et donc piquait peu. José Antonio Soriano nota que contrairement aux
autres métiers, il n’y a qu’un syndicat de picadors, mais il y a parmi eux quelques
différences entre ceux qui savent piquer (10%) et les autres.José Carlos Arévalo
fit remarquer que malheureusement le public n’était plus capable de voir les
bonnes piques, comme il l’avait constaté à Séville cette année.
La soirée se termina par une anecdote de Curro Romero, qui allait faire quelque
chose en piste, après le règlement de 1996 et un de ses aides lui dit que ce
n’était plus possible, alors Curro demanda “¿ y que decía el anterior?”.
José Antonio Soriano termina en citant Carlos Fuentes, “La tauromachie est une
fête et un rite, ses racines sont anciennes et se fondent dans la terre tragique
d’une humanité qui se sait à la fois héroïque et fragile”.
Philippe PASCHEL