Club taurin de Paris
créé en 1947

 

 

 

   

Réunion du 10 février 2009

Cristina Sanchez et Marie Sara : Etre femme et torero

 

 

Présentation de Marie-Catherine Chevrier

C’est la première fois que j’ai l’honneur de présenter une soirée devant cette honorable assemblée. C’est en quelque sorte mon baptême du feu, ma première faena. Mais c’est avec grand plaisir et beaucoup d’aficion que je le fais.

Le Club taurin est heureux de recevoir deux femmes d’exception. Ce n’est pas la première fois que des femmes sont invitées au club. Je rappellerai pour mémoire le mano a mano de deux éleveuses Quinquin Yonnet et Dolores Aguirre.

Mais aujourd’hui, nos invitées sont, à mon sens, encore plus exceptionnelles, car elles ont fait ce dont nous rêvons toutes, elles ont affronté les toros, à pied, pour Cristina Sanchez, à cheval pour Marie Sara.
Et nous pouvons imaginer aisément que ce n’est pas une mince affaire. Les embûches n’ont pas dû manquer. Et les commentaires graveleux et sexistes ont vraisemblablement pavé leur carrière.
Rien ne destinait Mari Sara, enfant de la balle, fille du metteur en scène Antoine Bourseiller et de la comédienne Chantal Darget, à une carrière de torera à cheval. Mais la passion des chevaux et des toros la pousse avec l’aide de Simon Casas à s’installer en Camargue où elle travaille sans relâche pendant plusieurs années. Elle débute le 6 octobre 1988, à 23 ans, aux Saintes-Maries de la Mer. Elle prend l’alternative, le 21 septembre 1991, des mains de la déesse blonde, la mythique Conchita Cintron. Jusqu’en 1999, Mari Sara va toréer plus de 250 corridas, avec un total de 244 oreilles, ce qui n’est pas négligeable. Tu feras un bref retour en 2003 et 2004, n’apparaissant qu’occasionnellement jusqu’en 2007. Et elle a ouvert la voie à une jeune génération de rejoneadoras françaises.
Cristina Sanchez, fille d’un banderillo, Antonio Sanchez, est dans le bain très jeune et elle veut voir du toro, combattre du toro. Elle s’inscrit à l’école taurine de Madrid et tue son premier becerro en public en 1986, elle a 14 ans. Et va toréer plus de 100 novilladas non piquées. En 1993, elle débute en novillada piquée, toréant chaque saison plus de trente corridas. Le 8 juillet 1995, elle se présente enfin à Las Ventas, devant des novillos de Carmen Lorenzo. Elle coupe une oreille à chacun de ses toros et ouvre la grande porte sur la calle de Alcala, le rêve réalisé.
Elle prend l’alternative à Nîmes le 25 mai 1996 avec un toro d’Alcurrucen. Elle coupe une et une oreille, obligeant son parrain Curro Romero et son témoin Manzanares à relever le défi. Saison 96, 66 corridas et 130 oreilles. Elle se classe 10e. 97, 61 course et 86 oreilles.
98, enfin la confirmation d’alternative à Madrid devant des Maria Lourdes Martin. Devant le puissant et difficile 6e, volonté et recours offrent à Cristina Sanchez un tour de piste de vraie valeur. Mais cette année 98 annonce les mauvais jours. 37 courses au compteur pour 39 oreilles dans des arènes de moindre importance.
1999, Cristina annonce qu’elle jette l’éponge devant les difficultés qu’elle rencontre, dues essentiellement au machisme du milieu taurin. Il se dit que beaucoup de toreros ne veulent plus partager le cartel avec elle. Elle fait ses adieux à Madrid le 12 octobre aux côtés de Fernando Cepeda et Javier Conde devant des toros de Los Eleugios et de Gabriel Rojas. Elle est digne devant des toros peu maniables. A la sortie sous l’ovation, elle reçoit une fleur, qu'elle ramasse et elle s’en va.
Le public a l’air plus ouvert aux changements et à la nouveauté que le milieu taurin qui abomine, à de rares exceptions près, d’adresser la parole à une aficionada sur des sujets taurins. On m’a personnellement conseillé de retourner à ma couture et à mon repassage. Les pauvres s’ils savaient.

Avec le recul, puisque toutes deux avez raccroché la chaquetilla, personne ne peut vous accuser de passade, de foucade, comme on l’entend si souvent dire au sujet des femmes. Torera c’est un caprice. Pour vous avoir vu toréer l’une et l’autre à vos débuts, (j’ai vu Cristina en novillada non-piquée et l’alternative de Mari-Sara, et j’ai eu l’occasion de vous voir de nombreuses fois ensuite) ce n’est certainement pas ce mot là qui me viendrait à la bouche. L’une et l’autre étaient sérieuses, appliquées. J’aurai tendance à dire trop. Mais je peux imaginer que la pression est double pour une femme dans l’arène : il y a le toro, ça c’est la réalité commune à tous les toreros qu’il faut se coltiner. Ça c’est une évidence. Il faut se le coltiner et le toréer pour l’amener à juridiction. Mais on sait bien que cette cérémonie-là ne se donne pas à huis clos. Et là, un autre challenge s’impose : il faut prouver aux professionnels, au public que l’on est un torero à part entière, j’oserai presque dire asexué. En écoutant mes voisins assis confortablement sur les gradins, le paseo, le début du combat donnent lieu à autant de réflexions stupides qui indiquent qu’ils sont venus voir un phénomène de foire. Et le ton change. Vous forcez leur admiration et ils finissent en agitant leurs mouchoirs. Prosaïquement, vous êtes dans la situation de toutes les femmes qui agissent. Il faut montrer plus de rigueur, plus de tout, pour être écoutées, reconnues et acceptées dans le cénacle quel qu’il soit. Il vous a fallu beaucoup de ténacité, de courage et d’orgueil pour garder la tête haute. Je pense que c’est votre dénominateur commun.
Vous prouvez aussi toutes les deux, que votre amour du toro n’est pas une passade, un caprice. Après la carrière, s’en ouvrent d’autres en lien avec le toro. Mari Sara tu es éleveuse et gère à partir de cette année, au côté de Simon Casas, les arènes de Mont-de-Marsan. Tu es ainsi la première femme à te lancer dans l’organisation de spectacles taurins et Cristina tu es devenue journaliste taurin pour la chaîne Castilla La Mancha. L’une comme l’autre, vous avez choisi une reconversion au plus près du toro.
Il y a donc une vie après le toreo.

Je  vous donne tout de suite la parole. Comment vient cette passion pour une femme, est-ce explicable et même exprimable ?