Club taurin de Paris
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Réunion du 14 janvier 2010

 

Joselito

LE PREGON DE FRANCIS WOLFF

Cher José Miguel Arroyo, Joselito

Qu’il était téméraire, pour le jeune élève de l’Ecole taurine de Madrid, d’accepter ce surnom, Joselito, qui représentait, pour toute l’afición, l’icône intouchable, le prince des toreros, saint et martyr de cette tauromachie du XXe siècle qu’il co-inventa avec Belmonte. C’était téméraire et, le moins qu’on puisse dire, c’est que tu fus digne du nom, au point que, pour l’afición du XXIe siècle, il n’y a plus qu’un seul Joselito, c’est celui que nous accueillons ce soir, l’homme à qui le toro a tout donné : comme fils, il t’a donné une famille ; comme torero, il t’a donné la gloire ; comme éleveur, tu lui rends aujourd’hui ce qu’il t’a donné ; comme homme, il t’a fait ce que tu étais déjà: intègre, sincère, lucide; et comme artiste, tu lui as donné ce que tu es : l’art du toreo complet, de la cape, de la muleta, de l’épée , — et l’essence du classicisme.

Tu as toréé à une époque où diverses tendances se disputaient l’héritage du classicisme : le toreo tourmenté d’Espartaco, le toreo baroque de Muñoz, le toreo d’aguante sur courte distance d’Ojeda, le toreo d’aguante sur longue distance de Rincón, l’élégance souveraine de Ponce, l’engagement suprême de José Tomas, tous ceux-là, tu les as connus, côtoyés, tu as rivalisé avec eux, en leur opposant la seule force de ton pur classicisme.

Le problème du classicisme est le suivant : Comment peut-il éviter d’être froid ou ennuyeux ? Comment, surtout, peut-on être classique et éminemment personnel ? Ça c’était l’équation que tu avais à résoudre et dont ton génie a triomphé. Car l’escalafon, comme on dit, regorge de classiques, de « bons toreros bien sous tous rapports », mais qu’on oublie immédiatement après les avoir vus. Le miracle de l’équation Joselito, c’est d’être parvenu à avoir un style unique, une personnalité incomparable, avec les armes artistiques les plus communes du toreo éternel. Comment comprendre ce mystère ? J’entrevois trois explications : toreo classique mais toujours adapté au toro ;  toreo pur mais extrêmement varié (je pense à ton jeu de cape et à tes mémorables « six contre un », qu’aucun torero n’a réussi comme toi) ; toreo enfin qui culmine dans un art extraordinaire de l’estocade, dont tu as été un des maîtres incontestés. C’est en tout cas ce mystère que nous souhaiterions éclaircir avec toi ce soir.

Alors, pour tout ce que tu as fait dans le toreo, pour ce que tu continues de faire pour les jeunes par ta Fondation, pour ce que tu fais tous les jours comme éleveur, pour tout ce que tu es, nous te disons : merci, Joselito, le bien nommé !

Francis Wolff

LE COMPTE RENDU

 

Plus de cent personnes ont assisté jeudi 14 janvier à la conférence de Joselito, organisée par le club taurin de Paris.
Le maestro est longuement revenu sur sa carrière de matador, une carrière au cours de laquelle, comme l’ont souligné Jean Pierre Hédoin et Francis Wolff, il a marqué le toreo d’une empreinte particulière.
Torero classique par excellence, il a su briller dans tous les tiers de la lidia et faire preuve à la fois d’une grande sincérité et d’une variété toujours renouvelée qui a fait de lui un des meilleurs spécialiste des « seuls contre six ».
S’il dit n’avoir préféré aucun des trois tiers, Joselito explique que le travail à la cape est plus exigeant physiquement car il mobilise tout le corps : tout passe toujours par la ceinture mais parce que la muleta n’est tenue que d’une seule main, elle libère la moitié du corps.
Pour illustrer la suerte de matar, Joselito n’a pas hésité à monter sur la table pour permettre à toute l’assistance de voir sa démonstration. C’est ainsi qu’épée en main, il a expliqué, point par point, tous les temps de la mise à mort.
Joselito, qui a toujours été reconnu pour  l’excellence de ses mises à mort a tenu à préciser que, pour lui, la bonne exécution de la suerte était plus importante que l’emplacement de l’épée ou son efficacité. C’est au moment de la mort que la sacralité de la tauromachie prend tout son sens, il importe donc que le matador soit particulièrement sincère lors du sacrifice.

Torero de sentiments, comme il se définit lui-même, Joselito a classifié les toreros en trois catégories : les « esquiveurs », les colleurs de passes et ceux qui toréent.
Les « esquiveurs », toujours en mouvement, ne laissent jamais le choix au toro entre leur corps et la muleta. Avec force de petits pas et de replacements ils donnent l’illusion de toréer mais ne s’engagent jamais.
Les colleurs de passes (« pega pases ») font ce que les taurinos préconisent : ils pensent, analysent la charge, la vitesse, la bravoure, les terrains du toro et construisent leur faena en fonction de tous ces éléments.
Les toreros de sentiments ne pensent surtout pas. Ils ressentent, s’abandonnent, s’engagent et se livrent totalement à leur inspiration. Et toréent.
Joselito a raconté que, lorsqu’il était apoderado de Cesar Jimenez, cette conception était entre eux un point de discorde. Joselito expliquant à Cesar que le public pouvait penser comme le torero, porter les mêmes analyses et donc considérer qu’il était capable de faire la même chose, contrairement à la transmission de l’émotion et des sentiments.

C’est en toréant de salon, en répétant inlassablement les gestes techniques, qu’un torero peut, une fois en piste, ne plus penser à leur exécution et se laisser aller. Ainsi, notamment avant ses seuls contre six, Joselito « révisait » toutes les passes apprises à l’école taurine, répétait toutes les exécutions. La veille de son retrait des arènes, il toréait encore de salon.

Le rêve de sa vie, ce castillan l’a accompli à Séville, le 14 avril 1997. L’unique fois où la porte du Prince s’est ouverte devant lui. Elle s’était entrebâillée le dimanche de Pâques précédent mais une maladroite épée l’avait aussitôt refermée. Ce jour là, l’excellent premier Gonzalez Sanchez Dalp lui permis de couper les deux premières oreilles. Mais lorsque son deuxième toro, manso et sans charge entra en piste, il crut, qu’une fois encore, il ne pourrait y parvenir. Il s’accrocha et coupa une oreille. Porté en triomphe, au moment de franchir la porte il s’efforça de déguster chaque seconde, conscient de la fugacité de l’instant.  Les hommes allaient le reposer, son coche de cuadrilla l’attendait, il monterait dedans et tout serait déjà fini. Mais les costaleros ne reposèrent pas Joselito et c’est jusqu’à l’ascenseur de l’hôtel qu’ils le portèrent en triomphe, faisant ainsi durer, dans les rues de Séville, ce plaisir qu’il avait tant attendu, lui l’austère madrilène.

 

Photos : Giulia Panattoni

Aujourd’hui, c’est dans sa ganaderia qu’il s’accomplit. En véritable ganadero, il a pris du recul pour pouvoir sélectionner au mieux ses vaches et becerros. Ainsi, il ne les tiente plus, préférant observer leur comportement avec plus d’acuité depuis les barrières. Son expérience de torero, en revanche, lui permet de comprendre toutes les nuances d’un toro en piste et d’aiguiller les toreros pour qu’ils lui montrent telle ou telle facette.
Et dans les arènes, c’est aussi à cette place que, désormais, il s’épanouit.

Christine Rosas

Diaporama : Photos David Raffo